12 octobre 2006

Route de la Soie 2

Kashgar,

Chine du Xinjiang, ancien Turkestan oriental




Un an déjà que je suis sur cette Route de la Soie sans l’avoir jamais ressentie aussi fortement qu’ici. Dans ce centre de l’Eurasie, on parle Uigur, Tadjik, Kirghize - tout sauf Chinois, paradoxalement - et s'empiffre de kebabs pour étirer encore le Moyen-Orient.

Un coin de lune où tous tes peuples alentour se sont tant battus, mêlés et envahis, où l’on est tant venu pour y vendre rubis du Pakistan, lapis lazuli afghan, jade de Chine, où l’on a tant versé et mêlé les sangs du continent que tout semble encore possible. Que tout ce que j’ai pu aimer sur cette année de route se trouve soudain réuni.


Ces femmes uigurs en sont le meilleur exemple : petites sauvageonnes grillées à la peau ronde et tirée comme celle des servantes de Gengis Khan, un anneau d’or à l’oreille, elles ont tout le reste des gitans d’Europe de l’est. Un foulard de gaze vif avant tout, avec des franges dorées et le cliquetis de petites pièces de monnaie frappées, puis ces jupons à volants égarés en arcs-en-ciel sombres, sanguins, dansants sur des jambes de bronze. Puis cette voix surtout ! Une langue turco-mongole qu’elles modulent en cris vifs, chants riches et rauques, grands rires de gorge. Et ce ton lent et gai qui se hausse en fin de chaque phrase comme si la vie n’était qu’interrogations. Quiconque y laisse traîner son âme perdra à jamais toute certitude.


Kashgar. Les Chinois Hans, qui sont heureusement pour eux trop sourds à ces accents, tentent bien de mettre un peu de rigueur dans ce plus vieux bazar du monde, mais les ânes uigurs se plaisent encore à crotter sur bitume frais au rythme des intestins.