23 juillet 2006

Frontière Pakistano-afghane 1


Retour au Pakistan : Joshi Kalash

Peshawar, 47 degrés, et toujours les mêmes larges barbes hugoliennes, toujours le même terne complet Shalwar-kamiz, toujours que de rudes gaillards à la fois larges comme des ours et curieux comme des fouines, pourtant l’hostilité a dégelé avec le printemps. Quelque part dans les montagnes de la frontière pakistano-afghane, le festival du Joshi se prépare ; quelque part chez ces Kalashs que l’on nomme Kafirs (païens), on déguste la liqueur d’abricot à la régalade avant de s’en aller chanter de guingois du côté des blés qui tanguent toujours un peu trop quand la tiédeur de la nuit se fait.
Bhutto m’a bien bâti une chambre pour travailler loin des chenapans, mais chaque nuit, après le repas, je reviens près de la couche des enfants pour ne pas dormir, trop heureux de sentir respirer la vie, de voir ces gosses en robe de chambre étoilée enchevêtrés dans leur sourire d’ange, trop heureux davoir une nouvelle famille.
Festival du printemps (Joshi) : le lait est offert en sacrifice, les danses reprennent, farandoles à l’ombre des grands cèdres, flûtes et rires, danses, robes de nuits à broderies d’étoiles, coiffes à grelots, longues tresses noires qui vous fouettent la joue en une pirouette. Le bruissement heureux des grands chênes, le cri des bergers : ça fleure le suint et le pet des chèvres. Convoi furibond, débridé, bachique, parmi les grands barbus pris de panique, ça pue la vie !

Frontière Pakistano-afghane 2


Là où paissent les fées : Kalash 4
Lorsque le Dieu Khodaï a flairé les offrandes du lait nouveau, lorsque les plus belles chèvres ont été offertes en sacrifice pour bénir le long exode des bergers, on guide alors le restant du troupeau au plus haut des pâturages, le regard rivé aux grands glaciers où étincelle déjà l’aile des fées. Elles nous attendent, les fées, elles veillent sur nos pas qui tremblent sur les ponts suspendus et soutiennent le gravas lorsqu’il n’y a que le vide au-dessous et une falaise sans prises qui vous colle au dos. Elles accueillent aussi les trois chèvres qui sont tombées dans les ravins et dont le fracas a mis tant de temps à nous atteindre.
Tout l’hiver, elles ont récuré les glaciers, rangé, ripoliné, épousseté les névés en punissant à coups d’avalanches quiconque oserait perturber leur remue-ménage. Tout l’hiver, un torchon dans les cheveux, elles ont purifié le royaume de l’Himalaya, ces fées Kalashs, et là, enfin, elles se retirent dans les lacs altiers pour le ravissement des bergers. Chacun en parle avec un soupir : « grand-père les aurait vues se baigner et l’oncle éloigné les aurait même connues, enfin, il les a… ils ont été très heureux. »
Ce sont ces histoires fredonnées au coin d’un thé salé qui vous réchauffent, lorsque l’on écoute braire les étoiles et que les autres fées sans ailes sont à plus d’une semaine de marche du pâturage. Alors on se tire un mouton sous le nez en guise de couverture, et songe que, dans un mois déjà, le troupeau nous mènera jusqu’en Afghanistan. Et plus loin encore, ce corridor Wakhan où les Tadjiks et leur Buz Kashi m’ont si longtemps fait rêver, et les Uigurs, les Turkmènes, les Kazakhs, la Chine…


… à suivre …