30 octobre 2005

En Nomad's Land 2 : Vers l'Iran


Turquie 2 : Yusufeli, Tekkale, Erzurum, Dugubayezit...

En plein Ramadan, ce fut une journée peu orthodoxe avec des Géorgiens croisés en plein culte dans une basilique en ruine : à chacun de leurs toasts, il faut vider d’un trait ce bon vin blanc au goût de fumée et de musc que l’on voudrait déguster lentement, comme un soleil retrouvé dans l’hiver au nez du Ramadan. Et pourtant il faut encore faire honneur à chaque bénédiction, à la famille, l’amitié, la paix dans le monde et les filles si jolies sans leur foulard… Puis les cœurs échauffés se doivent de chanter. Alors il faisait un peu saoul, ce soir-là, dans le village perdu de Tekkale, tout au Nord-Est de la Turquie.
De retour dans la neige de Erzurum, on mange, boit et fume avant et après le jour, sans quoi ces rudes montagnards vous semoncent et lèvent une large paume de maçon. Et pourtant, il est toujours un infidèle qui vous dit « camouflage » en riant et vous emmène vers un thé fumant pour griller nerveusement trois cigarettes. C’est sur votre épaule que retombe cette fois la main, avec un clin d’œil complice.


Ce matin, après le repas de 5 heures – pain plat, lait aigre, mouton, baklavas - il ne manquait rien au bonheur devant ce troupeau descendu du mont Ararat. Noé pourrait en redescendre et le déluge revenir que rien ne saurait me faire bouger de là.
Quel temps fait-il à Tabriz, et dans les déserts d’Iran ? Est-ce que l’on marmonne aussi « Güzel » (c’est beau !) en lâchant une larme au Pakistan, en Inde, au Sri Lanka… Bientôt je le saurai, le temps de trois saisons, ou d’une année. Bref, le temps qu’il faudra...

Alors à tout bientôt, mes amis.

En Nomad's Land 1: Un moıs de Ramadan



TURQUIE
Liddes, Munich, Vıenne, Bucarest, Istanbul, Erzurum, Trabezon, Yusufeli, Tekkale...

« Morte saison ! bruissent les sorbiers aux joues couperosées. Temps de partir à nouveau pour les nomades ». Quitter un hiver pour un autre : 53 heures de train vers Istanbul avec pauses Tokay… et s’affaler enfin dans une chambre de bonne en attique avec les métamorphoses de la basilique Ste Sophie pour éclairer les réveils. Le muezzin annonce la première prière, l’aurore est tendre à vous tirer des larmes, alors on filme, prend cent photos à s’en geler les doigts, puis il faut bien avouer que la vie est plus forte, immédiate, la vraie vie qui sent le thé et l’écume, celle qui ne s’enferme ni ne se grave, celle qui dépasse en largeur et en profondeur toute image...

Dans ce nouveau train qui m’emmène entre les collines de l’Anatolie, on fait encore de la fumée en soupirant d’aise, et mon vieux voisin s’échine à combler ma chaussure de ses écorces de graines de courge, pourtant il fait bon vivre. À voir ces maisons clairsemées sur les montagnes enneigées, on se demande où l’on dormira demain. Et cet enclos à moutons dans la brume de leur souffle, et le sentiment secret que chacune de ces fumées trahit de la chaleur, de l’intimité silencieuse : tout vous prépare déjà aux fortes tapes dans le dos, aux pognes gigantesques, aux bonnets de fourrure, au suint de l’hiver. Car on arrive à Erzurum, 2000m d’altitude, et les brocs gèlent dans les chambres.
Vers les anciennes vallées géorgiennes, il fait meilleur vivre paraît-il ! Alors allons-y : quand on a le seul luxe du temps, une camionnette ou des jours de marche suffiront.